Chers amis,
Lorsque l'on m'a annoncé que la fameuse chaine Seasons venait pour un reportage à La Réunion, inutile de dire que j'ai applaudi des deux mains. La chasse réunionnaise a évidemment besoin d'être connue au plan national.
Aussi la perspective d'une approche à La Pilotière filmée par l'équipe de Seasons m'a-t-elle particulièrement enthousiasmé. Le lieu est emblématique et l'exercice des plus rigoureux. Alain Teyssèdre m'annonce que Didier Antelme qui devait me guider, est retenu à la dernière minute. Le jeune Amaury, son fils, le remplacera. L'enjeu est de taille tant pour lui que pour moi.
D'une part, c'est mon premier "stalking" filmé, et d'autre part pour Amaury il guidera pour la première fois! Bref, on ne nous met pas la pression surtout...
Le rendez est donné au petit matin à 6h30 au parking "au bas" (comme disent les Mauriciens) du chassé. Je quitte donc Saint-Pierre au petit matin pour me diriger vers Sainte-Marie. Par contre, je réalise que de chasser d'habitude le samedi après-midi à La Pilotière change mes repères visuels routiers. Bref, la nuit tous les chats sont gris et pareil pour les sorties de 4 voies. Je manque donc la sortie, j'appelle Alain pour qu'il m'indique le bon itinéraire et il m'apprend que les journalistes se sont aussi perdus. Pour une traque, inutile de dire que ça en dit long sur mon sens de l'orientation. Au moins l'équipe de Seasons a l'excuse de ne pas être du pays. Quoiqu'il en soit, j'arrive au dépôt de matériel. Amaury, ponctuel, y est déjà. Au bout de quelques instants, toute la smala est réunie.
Les salutations sont rapides mais chaleureuses et cordiales. Ça me fait plaisir de voir enfin Xavier Gasselin que j'ai eu tant de fois au téléphone ou par mail les mois précédents. Manu son caméraman n'est pas moins sympathique. Alain, avant de partir (pour un énième réunion de la Fédération) nous donne le quota pour cette approche: un "Trois Cornichons" difforme spécifique (presqu'un "Premier Grands Bois") qu'il faut prélever, une jeune biche, ou un "Trois Cornichons" classique. Pas de daguet au menu...
Sitôt au campement, nous procédons aux préparatifs: vérification du matériel (jumelles, canne de pirsch, ma .270,...), consignes de sécurité, échange sur le déroulé du reportage, choix de l'itinéraire ainsi que de la préférence de l'animal à prélever. Nous nous accordons sur l'animal difforme en priorité. Xavier et Manu nous donnent les indications concernant la caméra. Elles se résument à un mot: "faire comme s'ils étaient pas là!". Le futur nous montrera que ce n'est pas si simple. Par contre, ils sont rompus à suivre des chasseurs dans les itinéraires les plus difficiles. Au bout d'un moment, Amaury fait accélerer tout le monde car il ne faut pas louper le bon moment du matin.
On se lance! On choisit de contourner La Pilotière par le haut puis par l'est. On passera par "Café", puis "La bute", "Moka", "Princesse", "Beauvallon", "Beaufonds" et ensuite nous verrons où nous mènerons les cerfs. On tombe sur quelques biches, on progresse dans une légère boue. Finalement, c'est plus à nous de nous habituer à être suivi qu'au caméraman de le faire. Il nous faut de temps à autre s'arrêter pour parler à la caméra et expliquer notre tactique. Au début, c'est assez déstabilisant tant le silence et l'implicite sont des comportements naturels à l'approche. Mais nous nous plions de bonne grâce à l'exercice.
Toute la matinée, nous avançons prudemment Nous rencontrons de belles hardes, toutefois pas le fameux biscornu. Nous avançons, nous contournons, nous nous mettons à bon vent. Tout l'arsenal y passe, mais toujours pas notre fameux "Bambi".
Vers 11h30, entre "Bruguier" et "La Ressource" je décide qu'il nous faut terminer cette première partie de la traque. Le plus intéressant reste la métamorphose d'Amaury. Chasseur émérite, il n'a néanmoins jamais guidé, mais il apprend vite et s'adapte à cette nouvelle fonction. Bien des occasions se sont présentées mais l'animal pressenti est resté introuvable. Inutile de s'acharner, le gibier a gagné la première manche. ll nous reste l'après-midi. Après une rapide discussion, nous remontons au campement. Presque 5h de marche nous obligent à un bilan une fois au gîte.
Amaury s'en est bien tiré dans l'approche des animaux, toutefois ce type de chasse ne se résume pas à cela. Le plus important reste la décision en elle-même quant à l'animal à tuer. Le chasseur doit aider le guide dans la décision. Aussi, je préconise à Amaury une solution. Comme il s'agit d'une chasse peu anodine du fait de la présence de la chaîne Seasons, le reportage doit être une réussite. C'est une priorité. Aussi, je conclus simplement: "Le matin nous avons cherché le difforme, l'animal a eu sa chance. On s'incline respectueusement. Toutefois comme le quota est large, pour l'après-midi le premier animal au quota qui serait tirable doit être prélevé si on le rencontre. Sinon le temps sera contre nous et on se mettra inutilement la pression".
D'un commun accord, la proposition est acceptée et après le déjeuner on s'y remet. Cette fois, le temps est instable. En descendant vers le poste Terracine (Amaury pense que les cerfs sont toujours en bas de propriété) une pluie légère nous surprend. Nous patientons sous le couvert forestier tranquillement. Le caméraman et moi sentons Amaury gagner en confiance et assurance. Il sait où aller, et plus de tergiversation sur un seul animal. Un couple "guide-chasseur" se crée. En outre, nous savons pertinemment qu'après la pluie, les animaux sortent, en général. C'est notre chance. A nous de ne pas la gâcher.
Sitôt qu'une éclaircie arrive, nous reprenons silencieusement notre avance. Au poste "Terracine", nous nous apprêtons à descendre une sacrée brisée. C'est glissant et je m'apprête à désarmer ma .270. Simultanément, nous voyons un "Trois-Cornichons" traverser lentement la "patte-poule". Machinalement nous nous figeons et posons sans hésitation la canne de pirsch. J'épaule mon arme, pose la croix de ma Zeiss sur la zone mortelle, pendant qu'Amaury me confirme l'animal en une fraction de seconde. Je presse la détente...et l'animal s'effondre!!! C'est LA balle adéquate pour "Seasons". A croire que le cerf lui-même avait décidé de sortir le grand jeu pour sa dernière scène.
Quelques instants de surprise et Amaury et moi, nous nous congratulons avec une émotion quasi-enfantine. Je suppose que la caméra ne manque rien de ce moment! Nous sommes sincèrement heureux. Évidemment, pour Amaury qui guidait la première fois, il y avait une réelle pression que d'amener le chasseur au gibier. Il s'en est tiré comme un maître. Quant à moi, si je suis un peu plus familier des médias, ce n'est quand même pas tous les jours que je passe sur LA chaine des chasseurs&pêcheurs "Seasons". Manu, le cameraman est aux anges car tout est "dans la boîte".
La leçon est belle. Toute la matinée, nous nous sommes focalisés sur un seul cerf, en vain. L'après-midi notre état d'esprit était bien plus ouvert et finalement un superbe "Trois-Cornichons" s'est présenté! Comme quoi, rien ne sert de courir, il faut toujours chasser à point...
La suite est habituelle. Nous rendons les honneurs au gibier et passons la séance photo!!!! Manu et moi félicitons Amaury pour cette belle première, quant à moi je retrouve cette sérénité coutumière de mes actes de chasse. Réussir un tir, c'est respecter certes l'animal mais aussi tous ceux qui œuvrent en arrière-plan pour réussir une chasse (en particulier Didier Foucque et Alain Teyssèdre). Évidemment, le moment de communion avec la Nature est présent, mais quelque chose d'autre émerge. Amaury et moi avons réellement le sentiment d'avoir communiqué à l'autre une forme de savoir. Les pas faits ensemble ont forgé les maillons d'une chaîne d'expérience unique et inimitable.
C'est la force de la chasse que de lier les Hommes dans véritable rituel initiatique. J'en prends une nouvelle fois pleinement conscience, à la conclusion de cette traque particulièrement inusuelle. On n'oublie jamais sa première fois.
Une fois, encore, la magie de La Pilotière a opéré.
Canabady Gérard
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