Mercredi 2 août 2017 (Domaine de Grande Rivière Noire, Ile Maurice)
10h, je regardais au loin espérant voir des animaux afin de montrer au guide et à mon oncle ce dont j’étais capable. En effet, il venait d’avoir son premier gros cerf à 7h10, d’une seule balle, c’était il y a déjà 3 heures et à 8 km d’ici. Je ne voulais donc pas le décevoir, l’heure n’était donc plus à l’erreur.
Nous avions marché, je ne sais combien de temps, et je venais de rater une énième occasion de tirer, par peur sans doute, mais surtout par appréhension de devoir prendre la vie d’un être vivant, par peur de combattre vingt années d’existence, par peur de devoir pour la première fois, voir la vie s’éteindre près de moi.
Le soleil était déjà haut dans le ciel, les animaux ne sortaient plus, et cela le guide me l’avait bien fait comprendre, on avançait avec le vent dans le dos, Je n’étais pas crédule, je savais pertinemment que toute la harde nous avait sentie, nous avait entendue, le climat chaud, la végétation sèche et craquelante ne nous aidant pas non plus.
Nous marchions depuis une quinzaine de minutes quand devant moi, le guide s’arrêta, fit volte face, observa pendant de longues secondes, mon cœur tambourinait contre les parois de mon corps, je me demandais même si cela ne trahissait pas notre présence encore plus, je retint ma respiration, pensant pouvoir me calmer un peu. Le moment était arrivé.
Au bout de quelques secondes, le guide me montre un bosquet de bois et m'indique un jeune daguet bouton à 125 mètres marchant à l’arrière du groupe.
Le guide me glissa quelques mots, me faisant comprendre qu'après notre ultime avancée à découvert, que c’était la dernière chance de tir. Je ne parvenais pas à me calmer, le mouvement incessant du réticule lumineux que je parvenais difficilement à garder sur le poitrail de l’animal faisait des va et vient, guidé par mes respirations saccadées, m’efforçant à rester calme et silencieux.
Mon doigt était posé sur la détente, la sécurité était enlevée, encore une pression de quelques malheureux kilos et la chasse se terminerait, rien qu’une pression et je passerai dans une vision de la vie autre que celle que j’ai connu jusqu’alors, rien qu’une pression et cet animal serait étendu devant moi. Je respira une dernière fois, ferma les yeux, puis entra, presque en communion avec la nature, je ne saurai décrire ce qu’il se passa avec moi à ce moment là, mais c’est comme si l’instinct primaire qui sommeillait en moi depuis 20 ans s’était réveillé et avait pris le contrôle pour quelques secondes. Mon visage se referma, ma boule au ventre disparut, mes bras raidi par la pression se détendirent, je sentais moi même devenir chasseur.
L’animal dans mon viseur leva la tête, je visualisai l’arrière de son épaule, je ne pensais à rien d’autre, mes pensées s’étaient évanouies avec la peur, je respira une dernière fois, je savais que le regard de mon oncle pesait sur moi, et que lui aussi aurait voulu me voir repartir sur un succès.
Je mis le point rouge sur son poitrail ferma les yeux et ….le coup était parti, ça y est, je regarda mon oncle, son regard était mêlé de bonheur et de questionnement, de savoir si le cerf avait accusé le coup ou non, je réarma mon arme, et me tourna vers mon guide qui me dit que la balle était entrée, une balle de panse. Notre guide me rassure, ça reste une balle acceptable pour un débutant à son premier tir. J’eus à peine le temps de re-épauler l’arme qu’il me l’a pris entre mes mains, cherchant des yeux l’animal parti se réfugier dans la présence réconfortante du groupe.
L’animal marcha 25 mètres puis s’écroula sur ses pattes avant, attendant la mort.
Le guide, afin d’assurer le tir, réarma machinalement la carabine, laissant tomber la deuxième cartouche que j’avais chambrée, le chargeur était vide. Mon oncle ne se posant pas de question, lui tendit une autre cartouche, qu’il chambra et qu’il envoya se loger directement dans le base du cou de l’animal.
Cela s’était passé en moins de 3 secondes, autant dire 3 siècles !
Le bonheur nous emplit, chacun d’entre nous, car ce fut une traque difficile et très longue, nous avions mérité notre gibier.
Ce n’est donc sans aucune retenue, que nous nous sommes pris dans les bras.
Je n’arrêtai pas de remercier mon oncle pour cette fabuleuse chasse, pour sa totale foi en moi ainsi que le guide, Julien Desvaux, pour son superbe optimisme et sa connaissance parfaite du terrain de chasse. Sa volonté de ne pas me laisser sur un échec l’a fait renoncer à la messe d’enterrement d’un ami chasseur pour me permettre cette première fois ! Clin d’œil de celui qui nous quitte à celui qui arrive. C’est l’éternel le cycle de la vie et la mort qui forme le cœur de tous chasseurs.
J’éprouvais un sentiment enivrant de liberté et d’allégresse, difficile à expliquer aux non chasseurs.
Je me souviens que les quinze minutes qui suivirent, j’étais incapable d’aligner une phrase, répondant plus par automatismes, que tentant de formuler une vrai réponse.
Mon cerveau s’était volontairement mis en suspens, acceptant l’idée que j’étais devenu chasseur.
C’était fait, je venais de tuer mon premier gibier...
Sheyveen ELLY
